Dina Sensi est docteur en sciences de l'éducation, chargée de missions de recherche et de formation pour l'Institut de Recherche, Formation, et Actions sur les Migrations (IRFAM, Liège).

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Dina Sensi répond à nos questions
Quelle est l'origine de votre réflexion/de votre attention  sur les difficultés des enfants à l'école ?
J’ai commencé ma carrière de chercheure en éducation en travaillant sur des projets liés à l’enseignement professionnel et ensuite liés à la multiculturalité dans les classes. J’ai donc été confrontée très vite aux besoins spécifiques des enfants issus de l’immigration et par là-même aux besoins des enseignants et des écoles pour trouver des solutions aux difficultés rencontrées.
Tous les projets de recherche-action dans lesquels j’ai été impliquée m’ont permis de construire des hypothèses de travail que j’ai pu expérimenter avec succès, ce qui m’a amené ensuite à exercer comme coach parental pour aider les familles notamment dans leurs relations à l’école.

Votre expérience professionnelle vous a amené(e) à rencontrer de nombreux enfants en difficulté dans le contexte scolaire.  Pourriez-vous citer 3 caractéristiques communes à tous les enfants qui vivent cette réalité ?
Il me semble que tous les enfants en difficultés ont, à des degrés divers, au moins ces quatre caractéristiques communes :
  • Des problèmes affectifs et relationnels liés à une grande insécurité par rapport aux adultes qui s’occupent d’eux. (Problèmes d’attachement et d’intelligence émotionnelle)
  • Des profils apprenants en déséquilibre (trop analytique vs synthétique/ cerveau gauche/droit ; trop actif vs réflexif /cerveau avant/arrière ; trop subjectif vs objectif/cerveau bas/haut) 1
  • Des problèmes de compréhension de la « langue de l’école » (surtout si la langue maternelle n’est pas le français)
  • Des difficultés (familiales) à comprendre et à s’adapter à la culture de l’école.
Vos représentations de cette problématique ont-elles évolué dans le temps ?  Grâce à quoi ?  ... à qui ?
Les évolutions les plus importantes dans mon parcours ont été amenées par :
  • La lecture de l’ensemble de l’œuvre de Françoise Dolto.
  • Les théories et les travaux sur l’attachement (Bowlby).
  • L’analyse systémique, les travaux de l’école de Palo Alto.
  • L’importance de l’art pour l’intégration à l’école à travers le projet MUS-E créé par le violoniste Yehudi Menuhin.
  • La communication et la pédagogie interculturelle et les travaux sur les obstacles culturels aux apprentissages.
  • Les travaux de La Garanderie et plus récemment tous les travaux sur le fonctionnement des trois cerveaux dans l’apprentissage.
  • Et depuis toujours, l’importance du corps à travers le Yoga et la relaxation.

A votre avis, l'école fait-elle partie du problème ?
Excusez-moi, mais, comment peut-on encore se poser cette question ?
La meilleure preuve pour moi est qu’il n’est pas rare que les problèmes surviennent avec le début de la scolarité primaire. Et l’on peut entendre des mamans dire : « je ne comprends pas, à la maison, il est gentil ! ».
Comment expliquer aussi que certains enfants commencent à devenir très agités en 3° année primaire ? J’ai une hypothèse : en 3°, les programmes scolaires font passer des enfants qui ne sont pas prêts (ni affectivement et ni au niveau cognitif) dans des contenus abstraits tels que la grammaire ou même des premiers éléments de géométrie. Pour ces enfants et spécialement ceux dont la langue maternelle n’est pas le français, le
non-sens de l’école commence s’installer dans leur tête, avec tout ce que cela entraîne comme dégâts psychologiques et cognitifs.

Comment appréhendez-vous la situation d'un enfant en difficulté à l'école ?  Quelles sont vos premières clés de lecture de cette difficulté ?
Avant tout, il me semble important de bien identifier de quelle difficulté l’on parle car, les solutions ne sont pas les mêmes en fonction des différents types de difficultés. Le premier pas du diagnostic est donc de savoir dans quelle mesure l’enfant présente les types de difficultés suivantes :
  • les difficultés dues à des problèmes physiques, physiologiques, d’orthophonie…
  • les difficultés comportementales et relationnelles liées à des facteurs affectifs et de stress
  • les difficultés dues aux capacités d’apprentissage (compréhension, motivation, concentration…) liées au fonctionnement du cerveau
  • les difficultés d’apprentissage en français, en mathématiques, en sciences…, dues au fait que l’enfant n’a pas acquis les prérequis nécessaires

Mon analyse se structure ensuite autour des quatre axes suivants en interrelation :
  • l’axe survie = tout ce qui touche à la vie affective et relationnelle, le sentiment de sécurité, l’attachement… cette analyse se fait en relation avec une lecture corporelle de la manière avec laquelle l’enfant se tient, respire, bouge, parle, regarde…
  • l’axe culture = tout ce qui touche aux cultures de l’enfant et de sa famille en relation avec la culture de l’école
  • l’axe système = le fonctionnement des systèmes « famille » et « école », des relations entre la famille et l’école, le tout en lien avec le mal-être de l’enfant
  • l’axe apprentissage = le profil apprenant, les matières qui motivent, les contenus qui bloquent…

L’analyse de ces axes permet ensuite de définir les actions d’accompagnement à mettre en place.

Un travail d’accompagnement d’un enfant en difficulté se fait donc à plusieurs niveaux. Personnellement je m’occupe surtout du niveau « SURVIE » avec les parents qui me demandent de l’aide. Je "coache" les parents pour qu’ils comprennent d’où vient le problème et qu’ils mettent en place des changements dans le système « famille » et dans les interactions qu’ils ont avec l’enfant et les enseignants.
Souvent très peu de changements dans les comportements des parents et des enseignants amènent beaucoup de « mieux-être » pour l’enfant, tant à l’école qu’en famille. Ce « mieux-être » entraîne généralement des déblocages et de meilleures capacités de compréhension et d’apprentissage.

Qu'avez-vous appris, par votre expérience, qui pourrait aider les enseignants à mieux appréhender la réalité de ces enfants et les guider dans leur travail d'accompagnement de ceux-ci ?  
Cette question me demande comment aider « les enseignants ». Alors le premier conseil que je donnerais est d’élargir la perspective : ce ne sont pas « les enseignants » seuls dans leurs classes qui peuvent confronter ces problèmes, mais bien l’ensemble de l’équipe éducative, en collaboration positive avec les parents, même si l’équipe éducative considère que les parents sont à l’origine des problèmes. Dans ce cas, raison de plus pour les impliquer de manière active dans l’accompagnement des enfants.
Le traitement différencié des enfants en difficulté devrait être un des objectifs de
tout projet d’établissement. Une démarche collective mérite d’être définie par l’ensemble de l’équipe.
Le deuxième conseil est justement de définir et de mettre en œuvre cette démarche collective en utilisant des aides extérieures, mais aussi les ressources et les forces de chaque membre de l’équipe, pour qu’une capitalisation des bonnes pratiques puisse se réaliser au sein de l’établissement.
Le troisième conseil est d’apprendre à bien diagnostiquer et analyser les difficultés selon les critères expliqués ci-dessus, et ensuite, il faut mettre en œuvre et évaluer les actions décidées en groupe.
 
Pouvez-vous témoigner d'une réussite dans votre travail d'accompagnement d'enfants en difficulté ?
Les réussites les plus fréquentes et spectaculaires se font autour du changement de regard que portent les parents et les enseignants sur l’enfant en difficulté.
Faire en sorte que les parents (re)fassent confiance à leur enfant et lui (re)donnent de la valeur, indépendamment de ses résultats scolaires, est une des actions qui a le plus de conséquences positives pour le chemin à parcourir.
Ce changement de regard et de confiance sur l’enfant et
donc sur eux-mêmes, permettent aux parents de mieux entrer en communication avec les enseignants. Ils apprennent à se sentir moins coupables et vont à la rencontre des enseignants dans un esprit de partenariat d’égal à égal, ce qui n’est plus nécessairement le cas lorsqu’il y a échec à répétition.

Si vous pouviez disposer d'une baguette magique pour changer une seule chose dans l'école, que changeriez-vous ?
Je changerais tous les espaces/temps de l’école. Plus de souplesse dans le temps et plus d’espaces dans les classes, plus de couleurs aussi et enfin plus d’activités artistiques qui permettent aux enfants de se découvrir et s’exprimer dans la joie, au sein d’une école qui a du sens.

Si vous n'aviez qu'un seul conseil à donner aux enseignants confrontés à l'accompagnement au quotidien d'enfants en difficulté à l'école, que leur diriez-vous ?
Si vous le permettez, je donnerai deux conseils de base :

  • 1° soyez attentifs aux besoins du corps de tous les enfants : l’apprentissage est une question de fonctionnement du cerveau. Le cerveau fait partie du corps. Plus le corps est respecté dans ses besoins primaires, mieux le cerveau fonctionne. BOIRE de l’eau est fondamental pour ré-énergiser toutes les parties du corps. RESPIRER profondément est fondamental pour oxygéner le cerveau. RIRE aux éclats et chanter permet aussi cette oxygénation. Enfin, apprenez à pratiquer avec eux, quelques exercices très simples de Brain Gym.

  • 2° soyez attentifs aux liens d'attachement que vous créez avec ces enfants : plus un enfant se sent en sécurité et attaché à l’adulte qui s’occupe de lui, mieux il est apte à apprendre ce que cet adulte lui propose. Cela implique que cet adulte analyse et remette en question le regard qu’il porte sur cet enfant et sur sa famille, de même qu’il analyse et remette en question les interactions qu’il a avec cet enfant et sa famille.




Dina Sensi, février 2010



1(voir « Le cerveau nomade » de Michelle Bourassa, Presses de l’Université d’Otawa, 2007)