Comment développer une réelle image mentale de l'espace géographique chez tous nos élèves ?
Essentiellement je dirais qu’il faut travailler l’espace à l’aide d’outil mais aussi le vivre. Le passage d’une vision du monde en trois dimensions à des représentations cartographiques en deux dimensions n’est pas simple à comprendre.
Donc oui il faut travailler avec les cartes mais lier ces cartes le plus possible à un vécu. La classe part en classe de neige en Suisse, où est la Suisse sur la carte ? Où est-elle par rapport à nous ? Quelle distance sur la carte ? Qu’elle distance en train ? Est-ce que le trajet est long ? Pourrait-on s’y rendre de manière plus rapide ?
Autant de questionnements qui, à force de les travailler avec les élèves, deviendront spontanés et pourront trouver une réponse dans une carte, ne serait-ce que partiellement. Alors l’expérience de la carte ne sera pas déconnectée du vécu de l’élève. La carte et l’orientation spatiale seront étudiées dans un contexte où elles trouvent tout de suite leur utilité. En agissant de la sorte l’image mentale de la géographie ne sera pas que scolaire et alors elle deviendra sans doute plus réelle pour les élèves.
Chantal Déry
En allant plus souvent dehors ! On ne peut pas se construire des images mentales spatiales très riches en restant assis sur une chaise.
L’intelligence corporelle-kinesthésique et l’intelligence visuo-spatiale des enfants sont progressivement amoindries par une trop grande immobilité, de même que l’intelligence naturaliste-écologique, qui pousse à observer, relier, situer.
Les travaux de recherche menés avec de tout petits enfants (2,5-4 ans) sont très éclairants sur la façon dont nous construisons ou non une image mentale de l’espace riche de significations.
Les travaux de Jacob et Jonhson, qui établissent un lien entre notre capacité d’établir des liens entre les lieux et notre façon de penser (autrement dit, de relier les idées entre elles) sont passionnants. Si vous souhaitez un tout petit aperçu de leurs travaux, un paragraphe y est consacré dans ma thèse de doctorat, que vous pouvez télécharger sur le site de l’ULg.
En gros, en forçant le trait : en assignant les enfants à leur banc de trop nombreuses heures par jour, nous les transformons progressivement en handicapés de l’espace, surtout s’ils n’ont pas l’occasion, une fois l’école terminée, de gambader librement dans un espace suffisamment grand leur offrant la possibilité d’explorer progressivement de plus en plus loin.
Christine Partoune
L'utilisation de cartes est indispensable pour garder de façon synthétique en mémoire les informations qui ont été travaillées ... Encore faut-il qu'elles l'aient été et qu'elles n'aient pas été "plaquées" lors d'une leçon de 50minutes ; ce qui arrive malheureusement souvent. La mémoire à long terme ne peut s'établir que si il y a eu un travail porteur de sens, si on a pu établir des liens, si il y a eu aussi un "entretien" de ce qui a été vu. Si ce qui est fixé en cycle 2 n'est plus réexploité dans le cycle suivant et ainsi de suite, il est évident que les intérêts et les liens s'effilochent et que les connaissances finissent par disparaitre.
Dominique Yernaux
Avant d’étudier des cartes, il me semble important de construire diverses représentations de l’espace avec les enfants : dessins, croquis, maquettes, plans, cartes.
L’essentiel est que l’enfant puisse, lorsqu’un « problème » surgit (savoir utile), se poser notamment la question Où ? et Pourquoi là ?.
Il s’agit donc d’intégrer ce genre de savoirs dans une démarche plus générale où l’enfant apprendra surtout à utiliser son atlas et son globe terrestre et où l’enfant aura le réflexe de localiser le phénomène à plusieurs échelles…
Il est alors judicieux que l’enfant possède toute une batterie de cartes muettes qu’il complète au gré des différents apprentissages, des différentes découvertes… tout au long de sa scolarité pour ainsi se construire des repères spatiaux à différentes échelles.
L’enfant apprendra à développer les aptitudes lui permettant de rechercher l’information, de la traiter, de la mettre en forme et de la communiquer… Savoir-faire transférable !
Malgré tout, l’enfant a besoin de se construire des repères spatiaux de base qu’il réinvestira dans chaque nouvelle situation. Il est donc important de l’aider à mettre en mémoire les repères qu’il construit au fur et à mesure des différents apprentissages.
Pour être compétent, l’enfant a besoin de CONNAISSANCES de base. Notre devoir est de l’aider à les construire le plus durablement possible.
Il s’agira de faire passer progressivement l’enfant de la seule considération de son propre corps ou de la considération des objets par rapport à sa propre situation, à la considération des objets extérieurs indépendamment de soi et de sa propre situation décentration.
En 1ère et 2ème année, l’enfant réalise des dessins de situation qui situent simplement les uns par rapport aux autres les éléments repérés dans la classe, l’école, le village ou lors d’itinéraires sur le terrain. Ces éléments sont d’abord représentés de manière figurative, puis en plan. La nécessité d’un code pour que chacun puisse comprendre la carte apparaît très vite.
La notion de légende est en place. Il appartient alors à l’enseignant de donner les 3 grandes catégories de symboles (zonaux, linéaires, ponctuels) ou de demander aux enfants de classer les éléments représentés pour qu’eux-mêmes découvrent ces catégories.
L’échelle, intuitive, prend petit à petit sa place, les dimensions des éléments représentés étant lestés d’une forte dose d’affectivité.
A partir de la 3ème année, les itinéraires et les espaces à cartographier se diversifient et se complexifient. On prend en compte les dimensions relatives des éléments représentés, on s’évade du milieu pour atteindre le pays et des territoires plus lointains.
On lit et réalise de plus en plus de cartes thématiques.
Les enfants orientent leurs cartes en fonction des points cardinaux.
L’échelle numérique est couramment utilisée.
A l’école primaire, l’élaboration de plans divers représente un passage obligé pour faire prendre conscience aux enfants de l’organisation d’un espace donné et les préparer à la compréhension de la carte. Le plan s’élabore à partir du réel (classe, itinéraire dans le village), ou de la photo aérienne, qu’on s’applique à épurer, en ne représentant que les principaux repères et les éléments significatifs.
Nathalie Bourdouxhe
Je pense que le souci des cartes muettes complétées auparavant est que ces dernières n’étaient pas construites. (Nous donner des cartes déjà complétées n’aurait sans doute pas été beaucoup moins porteur). Dès lors, seuls les élèves avec une bonne mémoire visuelle ont été capables de s’en sortir, de mémoriser les situations des différents lieux, les différents noms, …
Construire une réelle image mentale prend du temps et demande de répéter des activités de ce genre. Ainsi par exemple, je suis persuadé que des enfants qui ont l’occasion d’observer un bulletin météo chaque matin auront davantage de facilité à se représenter la silhouette de notre pays … même s’il faudra le travailler dans des activités spécifiques. On sort ici un peu du contexte géographique à proprement parler pour aller dans le registre de la mémorisation ou de la gestion mentale. Mais comme tous les apprentissages, il faut mener de réelles séquences d’apprentissages avec de nombreuses activités travaillant cela. Concrètement, dans le cas de la Belgique, on pourrait envisager un puzzle à reconstituer, un tracé à main levée avec un modèle, la représenter avec de la pâte à modeler, la décalquer, … et faire de même pour les éléments que les enfants découvrent -les fleuves, les grandes villes, des lieux visités, dont on a parlé lors d’un moment de la vie de la classe … Bref, multiplier les rencontres plutôt que de se contenter d’une ou deux séance(s) de travail sur des cartes muettes ensuite étudiées.
David Dusoulier
Les cartes, c’est tellement abstrait pour les élèves… C’est une vue aérienne, ciblée sur un ou plusieurs éléments, à l’échelle, d’un espace délimité par l’homme. C’est donc une simplification, une schématisation d’une réalité…pas de la réalité (Il n’y a pas dans l’espace qui m’entoure des lignes tracées sur le sol pour montrer telle ou telle frontière, les cours d’eau en réalité sont beaucoup plus sinueux que sur la carte, on ne voit pas tout sur la carte,…). De plus la carte affichée au tableau c’est du 2D sur le plan vertical qui représente du 3D au plan horizontal… quel chemin entre les deux ! Il y a tellement d’apprentissages à faire pour passer à la carte (faire des maquettes que l’on prend en photo aérienne par exemple). Des outils comme Google Earth permettent aussi de donner du sens à la carte.
Marie-Pierre Deridder
Si l’élève a pu dans ses premières approches de l’espace, vivre des expériences variées et concrètes, partir de son déjà-là et de ce qui lui est proche, il sera capable de passer aux représentations abstraites : plan de la classe, de l’école, du quartier. Cette préparation est indispensable pour ensuite s’approprier une carte de la Belgique ou se situer dans un atlas.
De plus, prendre conscience de ce que l’on apprend et organiser dans sa tête les savoirs et savoir-faire appris sont des éléments essentiels en vue de l’installation à long terme. Des outils comme les cartes mentales, la verbalisation des stratégies, le recours à la métaphore, le dessin, la dramatisation, les moyens mnémotechniques sont autant de techniques favorisant la mémorisation tant en ce qui concerne les connaissances que pour les procédures.
En guise d’exemple, on pourrait dès la maternelle habituer le jeune élève à avoir recours aux « chemins dans la tête ». Les questions suivantes pourraient être posées :
Quel chemin prends-tu pour te rendre à la salle de psychomotricité, à la cantine ... ?
Par où passes-tu d’abord quand tu quittes la classe ?
Combien de portes dois-tu franchir ?
…
À l’instar de l’exemple ci-dessus, on peut trouver une activité proposée pour les élèves du cycle 4 dans le livre de Stordeur et Jamaer (2006)1.
Laurence Blondiau, Sophie Vitry et Mercedes Vercouter
1 Jamaer, Ch., & Stordeur, J. (2006). Oser l’apprentissage …à l’école ! Bruxelles :Editions De Boeck.
S’orienter, se situer et situer un objet dans l’espace relèvent d’activités mentales qui ne peuvent se construire qu’en s’appuyant sur des repères que l’on s’approprie personnellement.
Cette activité recèle une dimension émotionnelle dont on ne tient pas assez compte alors que tout le monde connait la douleur évoquée dans l’expression « être désorienté ». Aller vers un point autre, repérer l’inconnu c’est un peu ou beaucoup se mettre en situation d’être désorienté. Dans un premier temps les réactions sont subordonnées à la capacité des individus à gérer leurs affects avant de mobiliser des savoirs et des objets intellectuels.
La première composante d’une pratique en faveur d’une évolution positive de la situation évoquée est la sécurité, le confort mental que l‘on peut trouver dans la maîtrise d’un repère subjectif que l’on porte avec soi : le schéma corporel. On pense peu à utiliser les repères corporels pour y associer les points cardinaux, on entraine peu à la représentation sommaire d’un itinéraire et l’on fait encore plus rarement effectuer et représenter des « aller-retour » en s’autorisant à dire, nommer, exprimer ce que l’on voit « à gauche de dans le sens …., à droite de … » etc. avant de faire effectuer à des personnages virtuels, des déplacement sur des plans ou des maquettes.
Je retiens cette remarque pertinente d’un élève de P1 « … la boulangerie je la vois maintenant à droite, elle n’a pas changé de place, c’est parce que l’on vient de l’autre côté… ». Cet élève avait il peut-être derrière lui une belle expérience des classes –promenades vécues en maternelle ?
Françoise Capacchi
C’est bien vrai ! Et ce n’est plus de cette façon qu’on envisage aujourd’hui les leçons de géographie. D’ailleurs, on ne parle plus aujourd’hui de géographie, mais bien d’éveil et de formation géographique.
Éveil, car nous sommes invités à susciter la curiosité, ouvrir l’enfant au monde L’amener à regarder, écouter, toucher, sentir, penser… L’inciter à interroger les faits.
Formation, car il est nécessaire pour lui de construire des connaissances et de créer des repères.
Il ne s’agit donc plus de transmettre uniquement des contenus, mais bien de chercher avec les enfants ; d’être des maitres qui savent tout, mais bien des maitres qui « construisent avec… ».
L’approche, qui est plus centrée sur l’acquisition de compétences, ne fait pas toutefois pas fi des connaissances. Mais on parlera plus aujourd’hui de « connaissances instrumentales » (qui servent et qui permettent le transfert dans de nouvelles situations) que de connaissances « ornementales » (je sais que … ).
Aline Debouny
Il est indispensable de balayer toutes les compétences en éveil géographique, tant disciplinaires que transversales. On n’a jamais fait l’économie des sorties, des manipulations et des représentations par étapes afin de passer de l’espace vécu, perçu à l’espace représenté. Une foule d’activités dans ce sens sont proposées dans les divers programmes des réseaux. Pas question de brûler des étapes.
Développer une réelle image de l’espace géographique demande donc du temps : tant chez les élèves que les enseignants. Le travail en continuité le permet aisément. Il faut vraiment donner du temps aux enfants pour ce type de construction. Il est important, également, d’utiliser des outils, et en particulier, ceux qui existent à l’heure actuelle (issus des nouvelles technologies également). Construire des outils se révèle particulièrement intéressant également.
Ce domaine d’éveil implique également la maitrise de diverses compétences dans d’autres disciplines…
Et si géographie c’était aussi apprendre à demander clairement son chemin et à être capable de comprendre la réponse ?
Frédéric Deplasse