Souvent associée à des contenus abordés à l'école primaire, la géographie a-t-elle aussi sa place à l'école maternelle ?
Si oui, doit-on se limiter à une exploration de espaces proches des enfants (la classe, l'école, ...) ou peut-on aussi aborder d'autres dimensions géographiques ?
Tout d’abord au Québec il faut savoir que les enfants arrivent à l’âge de 5 ans à la maternelle et y sont un an avant d’entrer en 1ère année primaire. Avant 5 ans certains enfants sont à la maison et d’autres vont dans des Centres de la petite enfance (CPE) et là il n’y a aucun programme particulier ou uniforme pour tous. Donc ma réponse concerne principalement mon expérience avec des élèves de maternelle 5 ans.
Pour moi la géographie a clairement sa place à l’école maternelle et bien qu’il soit logique de commencer par les espaces proches des enfants (les études en psychologie nous enseignent cela), je ne crois pas qu’il soit obligatoire de s’y limiter. Selon moi c’est aussi notre compréhension des « espaces familiers » à l’enfant qu’il faut élargir. Traditionnellement on pense à la proximité spatiale (le coin de la rue, la cour d’école, etc.), mais un « espace familier » ça peut être celui de mon groupe classe dans lequel il y a des amis qui viennent de loin. Ça peut être une collation qui vient de loin, par exemple la banane que je prends au goûter, c’est très familier pour l’élève de maternelle et ça peut être une belle avenue pour aborder l’espace lointain tout en demeurant proche de l’enfant.
Chantal Déry
Une éducation géographique comprise au sens d’éducation relative à l’environnement qui nous est proche est évidemment incontournable et essentielle. Essentielle parce que la géographicité est une des conditions de l’existence humaine. Il est cependant tout aussi essentiel de cultiver la curiosité des enfants pour l’inconnu, pour l’ailleurs différent de nous.
A mes yeux, ce serait une grave erreur de confiner les enfants dans un huis clos social et environnemental, de ne travailler que l’ancrage territorial local (comment suis-je là où je suis ?). L’émancipation sociale de chaque enfant commence en maternelle, par une ouverture sur le monde et sur les différences culturelles, notamment dans la façon de s’approprier l’espace et de l’aménager, permettant de prendre conscience de l’altérité et des distances culturelles (comment suis-je par rapport aux autres et par rapport aux ailleurs ?).
Je vous conseille la lecture de l’ouvrage de Thierry Guibaud, Livre de géographie du professeur des écoles, éd. Séri Arslan, 2005, Paris.
L’exploration du monde doit être aussi remise à l’honneur en tant que source d’émerveillement, pour développer la conscience de l’extraordinaire beauté de notre planète, et cultiver l’amour pour le monde vivant, dans toute sa diversité.
Christine Partoune
Elle a sa place mais dans une moindre mesure, il faut bien l'avouer car le petit enfant ne prend conscience que de l'espace qui lui est proche. Il faut, je pense, d'abord partir du vécu de l'enfant, partager des vécus individuels pour qu'ils puissent être appropriés par l'ensemble de la classe et ainsi, créer une culture de classe.
Sortir de l'école avec les enfants n'est pas toujours chose facile et fréquente mais qu'importe. Suivant certains intérêts liés à l'environnement proche, on peut déjà susciter l'intérêt des enfants à la faculté d'observer suivant différents angles de vue, suivant différents zooms... C'est commencer à faire poser des questions, donner des avis sur ce qui touche l'enfant dans son quotidien et influe sur lui.
Dominique Yernaux
Si on part du postulat que la géographie c’est comprendre l’espace qui nous entoure, alors elle a toute sa place dès l’école maternelle.
Comprendre signifie donner du SENS. L’enfant vit l’espace dès sa naissance. N’est-il pas important de l’aider à donner du sens à cet espace pour ne pas qu’il le subisse ?
L’espace peut et doit se travailler à différentes échelles, de l’espace vécu aux espaces très lointains (conçus).
Pour être capable de concevoir un espace lointain, il est évident que l’enfant doit avoir appris à questionner, caractériser, structurer, représenter un espace qui lui est familier.
L’éveil géographique participe à la construction psychologique de l’enfant en l’aidant à se décentrer.
A l’école maternelle, il me semble important de vivre l’espace : celui de la classe, de l’école, du quartier. Structurer cet espace et donc se l’approprier, consiste pour l’enfant à y établir des repères. Ceux de la latéralité (gauche – droite) puis ceux de la position (haut – bas, avant – arrière, …). Cette première structuration de l’espace amorce le dépassement de l’égocentrisme enfantin et conduit à une première objectivation de l’espace.
Exemple : Quand je comprends l’organisation spatiale de mon école càd que je donne du sens aux différents locaux (derrière la porte jaune, c’est la classe de 5ème année de madame Trucmuche ; il y a 21 enfants qui travaillent et qui ont besoin de calme pour se concentrer), alors la consigne de ne pas crier dans les couloirs prend tout son sens également. Je comprends et je choisis d’adopter un certain comportement (agir).
Faut-il se contenter de l’espace proche ? Je répondrais : « Faut-il se taire face à un enfant de moins de 18 mois sous prétexte qu’il n’est pas encore prêt à parler ? »
Tout dépend du contexte, du vécu de la classe et des opportunités.
Cependant, il est évident que l’on distinguera les apprentissages de base, élémentaires de ceux qui présentent un caractère exceptionnel lié au vécu de la classe.
Nathalie Bourdouxhe
Oui elle a sa place en maternelle ... Cela dit, cela dépend de ce que l’on met derrière ce terme « géographie ». Je pense que tout comme en éveil historique, il est préférable de partir d’espaces proches des enfants, sur lesquels ils peuvent mettre du sens mais cela ne doit pas pour autant fermer la porte à d’autres espaces tant que ceux-ci ont un lien avec la vie de la classe.
Dans des écoles à forts contingents d'élèves issus de l'immigration, comme c'est le cas de la mienne, il serait dommage de ne pas se servir de cette richesse pour aborder certaines notions géographiques avec les enfants (et éventuellement les parents) …
David Dusoulier
Puisque, selon moi, la géographie c’est comprendre ce qui m’entoure. Il me semble qu’elle a tout à fait sa place à l’école maternelle. Il est essentiel que les élèves explorent d’abord les espaces proches d’eux, qui ont du sens. Certaines compétences en savoir structurer l’espace sont au service de la géographie. Les travailler en maternelle est donc important.
Par ailleurs, les activités fonctionnelles sont, je pense, de bons moments de contagion à d’autres espaces.
Marie-Pierre Deridder
Bien entendu que l’éveil géographique a sa place dès l’école maternelle. Il y a d’ailleurs des compétences à maitriser à la fin de la deuxième primaire. Dès lors, les enseignant(e)s du niveau maternel ont une responsabilité dans les apprentissages qui auront été mis en œuvre auprès des élèves de 2,5 ans à 6 ans.
Toutefois, comme dans tout domaine, les savoirs et savoir-faire envisagés devront respecter le développement cognitif de ces jeunes élèves, et donc, des priorités s’imposent. Prenons un exemple : marcher 45 minutes pour un enfant de 4 ans, s’il a une bonne cadence , il aura peut-être parcouru 7 ou 8 kilomètres et c’est déjà, pour lui, aller très loin. Comment pourrait-il alors s’imaginer ce que représentent 100 ou 1000 kilomètres ?
Au niveau maternel, il apparait essentiel de privilégier la connaissance et les limites de son propre corps d’une part, et d’appréhender le monde proche de l’enfant c’est-à-dire l’espace dans lequel il évolue et fait ses propres expériences d’autre part.
La classe, la salle de psychomotricité, l’école sont les espaces qu’il doit découvrir en premier lieu, mais également le verger où il est allé cueillir les pommes avec sa classe, voire la découverte d’un autre milieu de vie lors des sorties culturelles ou lors des classes de dépaysement.
Le fil conducteur des apprentissages devrait tenir compte de l’interaction entre 3 axes : le vécu, le perçu et le représenté.
Laurence Blondiau, Sophie Vitry et Mercedes Vercouter
La géographie s’appuie sur une notion mère : celle d’espace, elle passe donc inévitablement par une nécessaire approche des concepts en lien avec les rapports topologiques que les objets entretiennent entre eux : près de, à côté de, au-dessus de, …
La conquête du vaste monde dont parle Abraham Moles, et qui est une notion en perpétuelle évolution,- puisqu’elle indique un déplacement qui nous amène à ne pouvoir effectuer un aller-retour en 24 h- passe par l’exploration de l’espace immédiat, proche et de plus en plus éloigné de la sphère quotidienne.
Si l’on peut dépasser les espaces proches : l’école la classe, le village, il serait inconcevable de le faire sans avoir construit d’abord des repères dans l’espace immédiat. Aujourd’hui les médias audiovisuels donnent à voir de manière interactive des transformations de la Terre, des phénomènes physiques, des actions de l’homme pour se protéger ou protéger l’environnement naturel…
D’excellents documentaires autorisent des expériences « en différé » ou dans un sens « vicariantes ». Mais ces déplacements virtuels dans le temps et l’espace n’auraient qu’une valeur descriptive ou récréative s’ils ne permettaient pas de comprendre cet « ailleurs et ou cet « autrefois ici et là » mis en scène en tissant des liens avec ce que l’on connaît « ici, maintenant».
Françoise Capacchi
Bien sûr que la géographie a sa place à l’école maternelle et beaucoup plus qu’on ne le croit ! La classe et ses différents espaces sont des lieux privilégiés où l’enfant peut vivre et évoluer librement ; découvrir l’espace avec son corps. Il va comprendre petit à petit pourquoi on a placé le coin peinture à proximité de l’évier, pourquoi le coin sieste se situe dans un endroit un peu à l’écart de l’espace de travail… Pour se déplacer, dans la classe et dans l’école, il va falloir que l’enfant se construise des repères. De plus, les activités « jeux » vont l’inciter à construire et utiliser le vocabulaire spatial. Les activités de psychomotricité sont également des moments propices à ce type d’apprentissage. Elles contribuent au développement du schéma corporel, de la latéralité et de la perception de l’espace.
Effectivement, les Socles de compétences stipulent qu’il faut limiter, jusqu’à 8 ans, l’exploration à un espace proche (maison, école, quartier … ) auquel on a eu accès. Cependant, si dans le cadre d’un projet ou d’une situation particulière les enfants sont confrontés à des espaces plus lointains (un nouvel élève vient d’Afrique … ), on peut bien entendu en parler, regarder des photos et situer cet endroit sur une carte, mais cela doit rester exceptionnel.
Aline Debouny
*Une place à la maternelle pour la géographie ?
Les Socles sont très clairs à ce sujet : on initie aux compétences transversales tout au long de la scolarité et donc dès la maternelle. Certaines sont d’ailleurs à certifier à 8 ans et méritent d’être abordées antérieurement avec pertinence.
De nombreuses compétences disciplinaires le sont également, notamment, l’utilisation de repères spatiaux, de représentations et de localisation de l’espace, mais également l’identification de composantes du paysage. Il est également intéressant d’aborder l’identification et la caractérisation des interactions hommes/espace ainsi que l’organisation des espaces (en caractérisant leurs fonctions).
*Espaces proches ou autres espaces à l’école maternelle ?
Suivant l’intention de travail que l’enseignant(e) maternel(le) poursuit, et donc, la compétence qui sera visée, cela pourra varier.
L’utilisation de repères spatiaux, les représentations de l’espace, la localisation ne se fera que pour des repères fixes choisis dans le milieu proche et pour lesquels on aura eu un accès direct.
Cependant, lorsqu’il s’agira de lire un paysage sur le terrain (ou une image géographique), d’identifier les composantes du paysage, ou encore de caractériser les fonctions de l’espace (d’après son organisation), cela peut se pratiquer au sujet d’espaces visités lors de séjours extérieurs à l’école.
Dans tous les cas, il s’agira toujours d’exploiter des espaces auxquels les élèves auront eu un accès direct (milieu proche ou milieu visité lors de sorties). Les autres dimensions géographiques n’ont pas lieu d’être exploitées à l’école maternelle.
Frédéric Deplasse