Entrer dans le métier d'élève, n'était-ce pas plus facile autrefois ? L'évolution de la société ne rend-elle pas les choses plus compliquées pour certains enfants ?
Christine Caffieaux
Marie-Thérèse Zerbato-Poudou
En d’autres termes, il y a quelques décennies, soit on entrait dans la posture d’un élève et l’on réussissait, soit on était écarté et à charge du monde du travail d’assurer notre insertion d’adulte. C’est réalité est surannée. Aujourd’hui, un jeune sortant du système éducatif sans diplôme a moins de 50% de chances de trouver un emploi trois ans après sa sortie (Cereq, 2011) Un jeune avec n’importe quel diplôme voit ses chances au moins égales à 70 % (70% pour un CAP, 75% pour un bac pro, 86% pour un bac + 2).
Ce qui complique considérablement les missions des enseignants aujourd’hui, c’est qu’il leur est demandé de se soucier des progrès de chaque élève, pas seulement les meilleurs ou les plus « initiés. » Il s’agit de faire en sorte que, bien plus qu’auparavant, chacun obtienne au moins un diplôme lui ouvrant quelques portes pour l’emploi. Cette réalité contemporaine demande donc au monde de l’école de se préoccuper des élèves qui jusque-là n’étaient pas considérés, d’où le ressenti de certains enseignants de penser que les élèves sont moins « dans les clous. » En fait, ils y sont de plus en plus, mais pour quelques-uns l’entreprise est périlleuse, ce qui cristallise les préoccupations des adultes.
En plus, nous observons chez certains enseignants (certes un peu désabusés) un confort dans des stratégies d’externalisation : face aux difficultés, c’est plus facile d’attribuer les causes aux « autres » et ainsi de se dédouaner de tout changement et remises en questions. Innover, chercher et faire de la pédagogie sont des activités plus anxiogènes que les seules reproductions.
Sylvain Connac
L’école est devenue omnipotente ; la société s’est scolarisée, elle fonctionne sur la certification scolaire.
Danielle Mouraux
Mais le fait que la pédagogie était un peu plus massivement « traditionnelle » hier qu’aujourd’hui, permettait aux parents de peut-être mieux comprendre ce qui était attendu de leurs enfants. Quand ils étaient allés dans une école ressemblant à celle que leurs enfants connaissaient à leur tour.
Les chercheurs font souvent l’hypothèse que les pédagogies actives sont moins bien comprises des parents que les pédagogies traditionnelles et que les enfants de certains milieux populaires se retrouvent plus en difficultés dans ces pédagogies. Mais je crois qu’aucune étude n’a pu prouvé la chose quand un enseignant se donne la peine de faire comprendre aux parents sa pédagogie et qu’il est particulièrement conscient des normes qu’il impose à sa classe, les fait comprendre, en parle aux enfants et les analysent avec eux pour mieux comprendre leur manière de vivre leur métier d’élève…
Etiennette Vellas
Ce qui était plus facile autrefois, c’était de sortir de l’école pour entrer dans un véritable métier ! Le marché de l’emploi avait une grande capacité d’absorption de la main d’œuvre peu ou pas qualifiée. Ce n’est plus vrai tant ces populations ont été remplacées : automatisation, mécanisation, robotisation, informatisation et… délocalisation ! Avant, on pouvait rater l’école, sans forcément louper sa vie. Aujourd’hui, même avec des diplômes, l’entrée dans le monde du travail est difficile.
Mais d’autres phénomènes sociétaux sont à l’œuvre. Nous, parents, avons de moins en moins d’enfants (même si le taux de natalité en France reste élevé), et nous les avons de plus en plus tard. L’injonction de réussite scolaire est donc doublement accrue par les projections parentales sur des enfants rares et très attendus, mais aussi par une conjoncture économique angoissante.
Nous sommes entrés de plein pied dans une société du loisir et de la marchandisation. Les rythmes familiaux s’en ressentent (sorties, amusements, soirées) avec des conséquences sur le sommeil des enfants. Mais surtout, nos élèves sont des cœurs de cible ! Ils sont excités, sollicités, alléchés, dans un monde qui organise sa modernisation autour de l’assouvissement accéléré des désirs. « Tout, tout de suite ! ». Or, l’apprentissage n’a pas changé lui… Il réclame du temps, des essais, des erreurs, du tâtonnement, de l’implication, de la volonté. On peut dire qu’apprendre devient anachronique dans son processus. On préfère savoir, et vite !
Encore une inquiétude : la place de la lecture. Nos élèves passent de plus de temps, et à un âge de plus en plus précoce, sur les écrans. Or, ceux-ci ne s’arrêtent jamais ! Multitudes de chaînes de télévision 24h/24, jeux en ligne, réseaux sociaux, consoles électroniques, etc. L’invasion douce des écrans se fait avec de réelles difficultés de contrôle pour les familles, elles-mêmes grandes consommatrices. Je constate que pour nombre d’enfants, ce n’est jamais le moment de se mettre au calme, de rêver, de lire. Il y a toujours quelque chose à regarder, quelqu’un à qui répondre. La lecture, c’est un peu comme les épinards : tout le monde sait que c’est bon, mais quand on a le choix entre ça et des frites croustillantes…
Sylvain Grandserre
Je pense que oui : avant il était clair que l’école était importante aux yeux du plus grand nombre, que l’obéissance et le respect aux adultes allaient de soi, que les attitudes d’effort et de persévérance étaient communément admises comme étant importantes à développer, que l’école était un des seuls lieux où on apprenait.
Marianne Leterme
Daniel Gostain