Quelles en sont toutes les facettes ?
Certaines sont-elles moins visibles que d'autres ?
« Devenir élève » n’est pas facile. Non seulement, dès l’école maternelle mais aussi par la suite, les enfants doivent apprendre à développer un certain nombre de comportements exigés par le milieu scolaire. Ceux-ci sont nécessaires pour permettre de vivre ensemble à l’école. Il s’agit donc d’apprendre les règles de civilité et les principes d’un comportement conforme à la morale.
Cependant, il peut être dangereux de réduire le « devenir élève » à cet aspect. En effet, l’école a pour mission de faire apprendre. Pour reprendre les propos de Passerieux (2014), « l’école, c’est apprendre ensemble bien plus que vivre ensemble » (Passerieux, 2014, p.16). Les règles du « vivre ensemble » sont utiles et nécessaires pour parvenir à apprendre ensemble. Pourquoi demande-t-on aux enfants de rester assis, de lever le doigt, d’écouter la personne qui parle ? Parce que s’ils n’adoptent pas ces comportements, ils ne peuvent pas profiter du dispositif pédagogique et didactique pour apprendre.
Cependant, « devenir élève », c’est bien autre chose que le fait d’adopter ces comportements. Il s’agit aussi pour les enfants de prendre conscience des enjeux qui se cachent derrière les activités proposées. Par exemple, quand un enseignant apporte un animal en classe maternelle, il cherche à développer chez ses élèves des savoirs-être (devenir plus autonome, plus responsable) mais aussi un ensemble de compétences, en éveil scientifique par exemple. En ce qui concerne ces compétences, il ne s’agit pas d’apprendre « la carte d’identité » de l’animal comme une forme d’accumulation d’informations factuelles. La finalité est de permettre aux élèves de comprendre le monde qui les entoure. Il s’agit par exemple de prendre conscience que les animaux se ressemblent par certains aspects mais qu’ils se distinguent par d’autres (ce qui va les amener plus tard à l’idée de classification des espèces), de prendre conscience que l’animal est en relation avec son milieu tout comme nous, êtres humains, et que dès lors il est important de préserver notre milieu de vie.
Christine Caffieaux
Devenir élève c’est aussi s’approprier une culture particulière, les savoirs sont plus abstraits, conceptualisés, scripturalisés alors que le milieu familial transmet plutôt des expériences concrètes.
Toutes choses moins visibles que les prescriptions disciplinaires et les principes moraux qui visent à faire respecter les règles de vie en communauté.
Marie-Thérèse Zerbato-Poudou
Si un métier induit des obligations de résultats, c’est qu’il est borné par des tâches précises et objectivables. La plupart du temps, un métier se définit par les actions à réaliser, il peut donc être trivialement entendu comme le fruit d’un certain nombre de consignes à exécuter – Nous sommes dans le champ de la poëïsis, c’est-à-dire de l’œuvre achevée. Si la profession suppose des obligations de moyens, c’est bien parce qu’elle correspond à une activité incertaine, la plupart du temps humaine, et que les seules visées que l’on puisse dignement poser sont la mise en place d’outils, démarches et projets ordonnés pour aboutir favorablement, sans certitude de réussite. Nous entrons alors dans de la praxis, qui ne peut se résumer à de la seule production.
En ce sens, être élève est plus une profession qu’un métier. La démarche est plus praxique que poïétique. Il ne suffit malheureusement pas de faire exécuter des consignes par un élève pour qu’il apprenne. En revanche, l’enseignant est celui qui peut l’accompagner dans une sorte d’ingénierie cognitive qui le conduit à progressivement se donner les conditions les meilleures pour apprendre.
Sylvain Connac
Danielle Mouraux
Le métier d’élève est un concept qui permet de décrire ce que l’élève fait, éventuellement de l’expliquer.
Dans l’idéal sociologique : décrire et expliquer ce que vit et fait l’élève, sans jugement, ni modèle.
Dans l’idéal pédagogique : mieux comprendre ce que l’on fait faire réellement aux enfants à l’école.
Le métier d’élève est ainsi un analyseur, parmi d’autres, fort utile, pour mieux comprendre ce qui se joue à l’école pour les enfants dans leur travail se déroulant dans la forme scolaire qu’ils vivent, avec les coutumes qu’elle engendre.
Quelles en sont toutes les facettes ?
Dans la forme scolaire la plus habituelle :
Les élèves vont à l’école comme les adultes vont au bureau ou à l’usine, régulièrement, avec un enthousiasme et des états d’âme fluctuants, dans le cadre d’une organisation qui leur assigne des tâches et en contrôle l’exécution.
Certaines facettes sont-elles moins visibles que d'autres ?
La première caractéristique du métier décrit par Philippe Perrenoud est d’ « être un des métiers les moins librement choisi ». Il est en ce sens assez proche des travaux forcés, écrit Perrenoud.
La loi oblige les enfants et adolescents à être éduqués et instruits. De plus en plus par l’école. Quand c’est par l’école, à raison d’un nombre d’heures par semaine impressionnant, durant une quarante de semaines par an. « Aucune institution n’a autant d’emprise sur la vie des individus, écrit Perrenoud, même l’armée est beaucoup plus modeste ! »
« L’école obligatoire est un banquet dont les convives n’ont le choix, ni du lieu ni du moment, et où le dialogue avec leur " hôte " est pour le moins asymétrique ; ils sont assignés à la table (des nourritures spirituelles, évidemment), on leur dit constamment que c’est pour leur bien, mais ils savent parfaitement que ce n’est pas vrai, qu’ils " mangent " parce qu’ils n’ont pas le choix, sachant que, s’ils ne faisaient pas, " le ciel leur tomberait sur la tête ".
2ème caractéristique du métier :
L ’élève est constamment sujet à des consignes, à une avalanche de directives, soumis à un emploi du temps extrêmement fragmenté, par les enseignants, qui obéissent eux-mêmes, en partie du moins, à des règles ou à des modèles externes.
3ème caractéristique : « Le métier d’élève s’exerce sous le regard et le contrôle presque constants du maître. C’est l’un des rares métiers dépourvus de protection contre les regards inquisiteurs du maître.
Le métier d’élève le conduit à voir son travail sans cesse évalué. Il ne peut qu’échapper en partie au contrôle de l’institution et des maîtres.
C’est un des intérêt du concept : regarder comment l’élève le pratique en pleine lumière et dans l’ombre. Car souvent l’élève doit jouer un autre jeu que celui attendu officiellement. Faire son métier peut conduire l’élève à rechercher des stratégies de fuite, à tricher, à mentir et apprendre ainsi souvent le contraire de ce que l’institution annonce vouloir faire officiellement.
4ème caractéristique : « Le travail de l’élève est sans fin : le soir, le week-end, souvent durant les vacances, l’enfant est poursuivi par les tâches scolaires et la sollicitude éducative des adultes, comme en témoigne l’industrie florissante des devoirs de vacances par exemple.
C’est ainsi un métier où l’on est constamment dans l’overdose de travail ».
5ème caractéristique : c’est un métier dit devoir être réalisé par les enfants pour qu’ils soient instruits et éduqués, mais qui est utilisé dans le même temps pour permettre à la société de trier les futures élites en excluant dès le plus jeune âge certains enfants des meilleures places sociales.
6ème caractéristique : Le métier varie dans les classes et les écoles suivant les pays, les institutions, les enseignants eux-mêmes. Surtout, quand les institutions et /ou les enseignants sont acquis aux pédagogies nouvelles qui ont fait l’analyse du métier décrit ci-dessus et tentent du même coup de développer l’autonomie des apprenants.
Etiennette Vellas
Le « métier » de l’élève est un ensemble de compétences, de connaissances et d’attitudes dont la maîtrise est nécessaire à la réussite de son « travail » tel que l’évalue le système scolaire. Il est donc fortement contraint, contrôlé, avec la particularité – dans une approche classique - de ne correspondre à aucun « salaire ». La rétribution de l’effort réclamé est différée de plusieurs années. « Ça te servira plus tard ! ». Discours audible et compréhensible par une partie seulement de la classe suffisamment initiée.
De plus, ce métier d’élève est présenté comme allant de soi alors qu’il repose sur des bases institutionnelles, notamment culturelles et comportementales, souvent très éloignées, voire étrangères, de celles de l’enfant. Que l’on pense par exemple à la curiosité, qui peut être un « vilain défaut » dans certains milieux quand elle va être fortement attendue pour les activités de la classe.
Sylvain Grandserre
Etre un élève, c’est être un apprenant qui répond aux exigences de l’enseignant qu’il a face à lui.
Les facettes de ce métier sont : l’adaptation à une structuration du temps particulière, en différents strates (depuis l’année scolaire jusqu’au quart de journée) ; l’adaptation à des lieux spécifiques (classe, cour, réfectoire) ; la relation à des adultes à qui on doit obéissance ; la relation à d’autres enfants avec qui on apprend toutes sortes de sentiments et d’émotions nouvelles. Je pense que la facette la moins visible, c’est le fait que l’école a ses codes qui sont en grande partie implicites et :
qui sont parfois aux antipodes de ceux du milieu dans lequel vit l’enfant ;
qui ne sont pas expliqués aux enfants : pourquoi doit-on se mettre en rang pour entrer en classe ? pourquoi a-t-on un bulletin à certains moments de l’année ? pourquoi a-t-on des devoirs ? etc.
Marianne Leterme
Les facettes : le questionnement, la recherche, la découverte, le partage, les rebondissements.
Ce qui est le moins visible : tout ce que vit l’élève, ses hésitations, ses désirs, mais aussi ses empêchements. L’enseignant ne le voit pas, mais il ne peut cependant l’ignorer.
Daniel Gostain