Christine Caffieaux
Marie-Thérèse Zerbato-Poudou
L’immense problème, générateur d’inégalités et de grandes difficultés chez certains, c’est que ces codes scolaires et cette culture de l’engagement ne sont que très rarement enseignés par l’école. Malheureusement, certains élèves passent toute leur scolarité sans les connaître, sans même en savoir l’existence.
C’est à l’évidence une mission dévolue implicitement aux familles que de transmettre ces éléments de langages, ces modes de compréhension, ces conduites à tenir selon les situations, cet esprit de recherche perpétuelle. Ce qui condamne les élèves dont les parents ignorent ces réalités (ou se trouvent dans l’impossibilité de les mener) à subir l’école comme un monde abscons, où ce qui est formellement demandé n’est pas en fait ce qui est attendu, où réussissent au final que ceux qui ont eu la chance d’obtenir ces clés ailleurs et autrement.
Sylvain Connac
- Il doit « parier » que, loin de ses parents et sans eux, dans cet endroit étrange qu’est l’école, il va apprendre des choses essentielles pour sa vie
- Il doit changer de culture, passer de l’oral pratique à l’écrit abstrait
- Il doit acquérir un autre langage, plus cognitif, plus universel
- Il doit adopter la forme scolaire d’apprentissage, lui donner du sens
- Il doit modifier sa position sociale, entrer dans un monde impersonnel, professionnel, où ce qui compte c’est ce qu’il apprend avec les autres
Danielle Mouraux
« Un élève qui résiste à l’intention d’instruire des adultes, à l’entreprise de scolarisation, se prépare aux pires ennuis. D’autant plus que son école est sélective. Réception de mauvais points, de mauvaises notes, et dans certains pays encore de coups. Puis, il devient l’objet à toutes sortes de propos blessants : on lui dit qu’il est bête, lent, peu motivé, qu’il manque de sérieux, d’ambition, de méthode, de lucidité ; qu’il devrait avoir honte. S’il persiste à ne pas travailler et à ne pas apprendre, on l’astreint au " soutien pédagogique ", on le fait redoubler, on le relègue dans les filières les moins exigeantes, voire dans une classe " spécialisée ". Le refus de jouer le jeu scolaire a donc des conséquences sociales importantes : il en coûte d’être " objecteur de conscience " dans le champ du savoir et de la scolarisation ! La plupart des enfants et des adolescents se plient donc à la norme, les uns parce qu’ils y adhèrent, bon gré mal gré, les autres parce qu’ils apprennent que cela leur coûte finalement moins cher qu’une résistance ouverte ».
Etiennette Vellas
L’école est une norme. Elle a ses principes, ses valeurs, ses règles, le plus souvent héritées d’une culture dominante qui n’est pas intégralement, loin s’en faut, partagée par tous les élèves. C’est donc à une espèce d’apprentissage de la « règle du jeu » que vont être soumis les enfants. Ces derniers peuvent même être victimes d’un conflit de loyauté entre ce qu’ils vivent au quotidien en famille et ce qu’exige d’eux l’école. N’accédant pas directement au sens des apprentissages, les élèves mettent en place des stratégies justifiant une telle mise au travail. Ils vont chercher à faire plaisir à leurs parents ou au professeur, se voir récompenser par des « bons points », se mettre à travailler pour la note ou parce que le maître est gentil. La dimension affective est donc importante mais aussi redoutable en cas d’échec ! La grande difficulté pour l’élève est donc de ne pas être esclave de la recherche naturelle de cette reconnaissance, mais bien de trouver par lui-même et en lui-même en quoi l’acquisition d’un savoir peut l’enrichir et lui être foncièrement utile.
Mais l’institution a aussi une grande part de responsabilité. Par exemple, en proposant des programmes scolaires adaptés, mais également au sein de la classe, en menant des projets véritables qui permettent à l’élève de faire « pour de vrai » quand la plupart du temps il fait « pour de faux » (exemple : quand il étudie la correspondance sans jamais écrire de vraies lettres).
Pour nombre d’enfants, la difficulté va donc être de « jouer le jeu » sans y avoir été préparé par le milieu familial, qu’il s’agisse de la place de la lecture ou du langage employé au quotidien.
Sylvain Grandserre
Le fait que les repères qu’il a à la maison sont tellement différents de ceux qu’il découvre à l’école. Deux exemples :
il est d’un milieu précarisé et il ne maîtrise pas la langue, ne reçoit pas les codes utiles pour ses relations à l’autre (adultes ou enfants) ; ne reçoit pas le soutien et la motivation nécessaires de la part de ses parents qui sont eux-mêmes illettrés ou ne voient pas trop à quoi sert l’école ;
il sort d’un milieu plus nanti où il est le centre du monde, où on a du mal à lui dire « non », où on répond très vite à ses moindres désirs et du coup : l’école est difficile à appréhender parce que très frustrante ;
Le fait de ne pas comprendre le sens de l’école, ses objectifs : à quoi sert tout ce que je fais depuis le fait d’apprendre à couper sur une ligne quand je suis en maternelle jusqu’au fait de résoudre des problèmes quand je suis en primaire ?
Le fait que ses parents ne fassent pas alliance avec l’école. L’enfant peut même carrément se sentir pris en tenaille entre les 2 (« tu diras à papa et maman qu’il est temps de payer la cantine ! » « tu diras à Madame que tu n’as pas eu le temps de faire ton devoir parce qu’on devait aller chez mamy »).
Marianne Leterme
Notre objectif est que l’élève grandisse en prenant appui sur l’enfant, sur le collectif d’enfants et sur la culture permise par la classe (et donc aussi par l’enseignant).
Daniel Gostain