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Olivier MAULINI Université de Genève Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
31 janvier 2003
Texte paru dans l'Educateur (n°1), rubrique
Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).
La réunion de parents : beaucoup de mamans, quelques papas, et en face d'eux le maître de leurs enfants.
Un maître, vraiment ? Ce qu'il maîtrise, c'est justement ce que veulent savoir les parents. Cette réunion, c'est un peu le grand oral de l'enseignant.


Le maître n'est pas un amateur. Puisqu'il est diplômé, il est supposé compétent. Mais quand même, les parents s'interrogent : " ce que le maître devrait maîtriser, le maîtrise-t-il vraiment ? Son programme, par exemple, est-ce qu'il le maîtrise ? Sa classe, est-ce qu'il la maîtrise ? Et lui-même, sait-il au moins se maîtriser ? Ce maître sur qui l'école a l'air de compter, donne-t-il ici et maintenant des gages de fiabilité? Est-il sûr de lui, sans être arrogant ? Est-il clair dans ses explications, sans nous prendre pour des enfants ? Sait-il répondre à nos questions, sans nous faire la leçon ? " Faire confiance au maître, les parents ne demandent que ça. Mais pour les convaincre, quoi de mieux que la preuve par l'acte ? L'instituteur parle de pédagogie, c'est bien ; mais s'il la pratique, c'est mieux.
Le problème est bien là : face aux parents, quelle pédagogie devons-nous pratiquer ? Faut-il faire un exposé ? Faut-il répondre aux questions ? Faut-il préparer une animation ? Si nous parlons trop, nous risquons d'ennuyer. Si nous nous taisons trop, nous risquons d'irriter. Quand la parole est libre, certains parents osent s'exprimer, d'autres non. Si les questions sont baroques, on débat sans fin de la largeur du préau ou de la fréquence des leçons d'allemand. Pas facile de s'entendre quand chaque discuteur a son obsession. Pas facile de " vivre ensemble " quand se rencontrent vingt conceptions du " bien des enfants ".

Les enfants. C'est bien d'eux qu'il est question, et c'est avec eux qu'
une collègue a trouvé la solution. Au lieu de monopoliser la parole, et au lieu de la laisser à quelques parents, utilisons la médiation qui s'impose : celle des élèves. " Ce soir, il y a la réunion de parents, dit la maîtresse. D'après vous, quelles questions vont-ils me poser ? " Et les réponses de fuser : " ils vont demander si on est sages ; ils vont demander si on est gentils avec les petits ; ils vont demander si on apprend bien. " " Ah oui, reprend l'enseignante, si vous apprenez bien… mais ‘apprendre bien’, ça veut dire quoi " ? " Ça veut dire : est-ce qu'on apprend à lire ; qu'est-ce qu'on sait déjà lire ; quelles lettres on doit écrire. " La maîtresse interroge, elle fait préciser chaque idée. Ensuite, elle les note toutes au tableau. Un tableau noir rempli de questions, c'est ce qu'elle obtient au bout de la discussion. Des questions d'enfants, bien sûr. Mais des questions essentielles, travaillées collectivement dans une " vraie leçon " d'élocution, et qui seront soumises le soir aux parents.

Un grand soir pour un grand oral. Premièrement, il y a la joie de lire ce que les enfants ont écrit : " Qui a dit : ‘est-ce qu'on est gentil avec les petits ?’ Je suis sûre que c'est mon fils ! " s'exclame une maman. Deuxièmement, la pertinence du questionnement : " ils ont raison, dit un père : on veut toujours savoir ce qu'ils savent, mais aussi ce qu'ils doivent savoir, parce qu'on a peur qu'ils prennent du retard ". Troisièmement, l'expertise de l'enseignante : une heure durant, la discussion est intense, elle porte sur les vraies questions, celles qui tracassent les familles. L'écoute est active, et les apprentissages sont grands. En passant par les questions des élèves, les adultes apprennent ce que l'école cherche à faire ; ils apprennent que les parents sont tous différents, mais que tous, ils rêvent d'instruction pour leurs enfants ; ils voient qu'en classe, on apprend à réfléchir, à poser des questions, à écrire collectivement sous la conduite de l'enseignante. Une enseignante cohérente, qui maîtrise sa pédagogie, qui dit ce qu'elle fait et qui fait ce qu'elle dit. Le grand oral est réussi. Bravo Maîtresse. Félicitations du jury.